Post-mortem: La France après Napoléon.


L'Europe apprend la mort (quelques dates)




La nouvelle a d'abord été connue à Londres le 4 juillet, puis à Paris le 11 juillet, à Vienne le 13 juillet et dans le reste de l’Europe à partir de mi-juillet 1821.
Il est aussi vrai que, le temps aidant, le sort de Napoléon ne soulevait plus autant d'émotion à Paris comparé à 1814-1815.

La comtesse de Boigne qui se trouvait à Paris lors de l'arrivée de la « nouvelle » raconta :
J’ai entendu crier par les colporteurs des rues :- « La mort de Napoléon Bonaparte pour deux sols ; son discours au général Bertrand pour deux sols ; le désespoir de Mme Bertrand pour deux sols » sans que cela fit plus d’effet dans les rues que l’annonce d’un chien perdu. Je me rappelle encore combien nous fûmes frappées, quelques personnes un peu plus réfléchissantes, de cette singulière indifférence.

Albertuk



Les réactions à l'annonce de la mort de l'Empereur.


Sainte-Hélène - Octave Aubry, vol II: La mort de l'Empereur - p.282-284


En France, la nouvelle fut reçue sans grande émotion. Si les fidèles de l'Empereur se montrent consternés, si de jeunes gens, crêpe au bras, battirent un vendeur de journaux qui criait la mort de Napoléon, si de vieux grognards, des hommes du peuple, de petits bourgeois s'abordèrent dans les rues en se serrant les mains et en pleurant, la masse de l'opinion, sincèrement ralliée à la monarchie, heureuse de la paix et de la prospérité retrouvées, resta inerte.

"Je me rappelle, écrira la comtesse de Boigne, combien nous fûmes frappés, quelques personnes un peu réfléchissantes, de cette singulière indifférence.»

La presse ultra se montra haineuse dans son ensemble.

Le Drapeau Blanc reprochait à « Buonaparte de n'avoir pas bien su mourir. »

L'Ami de la Religion et du Roi flétrissait « ce ravageur de royaumes, ce fléau de Dieu, celui qui a consommé à lui seul plus d'hommes que la Convention, les massacres et les échafauds. »

La France chrétienne écrivait: « Cet homme oublié meurt sans que la renommée ait une seule voix à son service.»

Parmi les feuilles modérées, le Journal des Débats, qui, pourtant, avait eu à se plaindre de Napoléon, témoigna de plus de bienséance: « Nous nous sommes défiés de nous-mêmes et nous avons cru devoir suspendre l'expression de nos sentiments personnels à l'égard de cet homme extraordinaire, uniquement par la crainte de paraître trahir la vérité par haine ou par fausse générosité. »

Les journaux libéraux rappelèrent que Napoléon « avait rendu d'éminents services à l'ordre social», ils évoquèrent sa gloire militaire.

Le Journal du Commerce conclut: « Le tombeau de Sainte-Hélène restera au milieu des mers pour donner cette éternelle leçon aux maîtres de la terre, qu'on peut avoir reçu de la nature tous les dons du génie, avoir montré ses drapeaux vainqueurs du Tage au Borysthène, donné des lois à vingt nations et régné sur vingt rois, et qu'il faut succomber encore quand on n'est pas défendu par l'amour des peuples et par des institutions de leur choix. L'Europe, conjurée contre Napoléon et le despotisme, a pu renverser l'un et l'autre: l'Europe eût reculé devant Napoléon et la liberté. »


Talleyrand (Herodote)


À Paris, la nouvelle de la mort de Napoléon arrive dans un salon où sont présents ce soir-là Wellington, le vainqueur de Waterloo, et Talleyrand, l'ancien ministre des Relations extérieures de l'empereur.
Quelqu'un s'exclame :
- «Quel événement !»
et Talleyrand de laisser tomber :
- «Ce n'est plus un événement, c'est une nouvelle».

Voyez également d'autres réactions..


Le temps des rumeurs et des imposteurs


Après le départ définitif de Napoléon, de nombreuses rumeurs, s'appuyant sur le précédent des 100 jours, font état d'un retour de l'Empereur. Certains en profitèrent pour se faire passer pour lui. Ainsi, un ancien sergent major de la grande armée, dénommé Jean-Baptiste Ravier, se fit passer pour Napoléon durant l'été et l'automne 1815 dans l'Ain, la Loire, la Saone et Loire, l'Isère et le Rhône. La ressemblance et le mimétisme étaient impressionnants. De nombreuses personnes furent persuadés et jurèrent avoir vu l'Empereur dans ces départements.

Extrait d'un rapport du préfet de l'Ain :
Le 26 août (1815), un individu se disant être Napoléon Bonaparte s'est présenté au maire de la commune de Peyrieux ; il s'est fait amener plusieurs militaires retirés de ce village, les a engagés à se prononcer pour lui et leur a, en les quittant, laissé un billet qui dans des temps plus heureux, a-t-il dit, devrait leur servir à se faire reconnaître de lui. Sa présence a excité la fermentation dans les esprits et des cris séditieux se sont fait entendre. Ce qui peut avoir contribué à accréditer cette fable auprès des paysans simples et des militaires qui vraisemblablement n'ont jamais vu Bonaparte lui-même est que cet aventurier a sa taille et affecte ses manières, il prend un air préoccupé et rêveur, est chauve devant la tête, a le teint brun et basané et les yeux vifs et perçants.



L'imposteur reparut plus tard en Seine et Marne, après un séjour clandestin à Peyrieux (grâce à de nombreuses complicités dont le Maire), où il confirmait en secret être le véritable Bonaparte. Il fut arrêté en février 1816, retransféré dans l'Ain. Il fut poursuivi pour "escroquerie et provocation à la rébellion et fut relaxé par le tribunal de bourg en avril 1816.

Sources : la légende de Napoléon de Sudhir Hazareesingh (éditions Tallandier)

Dalmatie


Le peuple et les soldats.


1836: La génération perdue. Musset évoque une génération bercée par l'épopée napoléonienne.
Alfred de Musset, "La Confession d'un enfant du siècle", 1836


Pendant les guerres de l'Empire, tandis que les maris et les frères étaient en Allemagne, les mères inquiètes avaient mis au monde une génération ardente, pâle, nerveuse. Conçus entre deux batailles, élevés dans les collèges aux roulements des tambours, des milliers d'enfants se regardaient entre eux d'un oeil sombre, en essayant leurs muscles chétifs. De temps en temps, leurs pères ensanglantés apparaissaient, les soulevaient sur leurs poitrines chamarrées d'or, puis les posaient à terre et remontaient à cheval.
Un seul homme était en vie alors en Europe; le reste des êtres tâchait de se remplir les poumons de l'air qu'il avait respiré. Chaque année la France faisait présent à cet homme de trois cent mille jeunes gens; et lui, prenant avec un sourire cette fibre nouvelle arrachée au coeur de l'humanité, il la tordait entre ses mains et en faisait une corde neuve à son arc; puis il posait sur cet arc une de ces flèches qui traversèrent le monde et s'en furent tomber dans une petite vallée d'une île déserte sous un saule pleureur.
Jamais il n'y eut tant de nuits sans sommeil que du temps de cet homme; jamais on ne vit se pencher sur les remparts des villes un tel peuple de mères désolées; jamais il n'y eut un tel silence autour de ceux qui parlaient de mort. Et pourtant jamais il n'y eut tant de joie, tant de vie, tant de fanfares guerrières dans tous les coeurs; jamais il n'y eut de soleils si purs que ceux qui séchèrent tout ce sang. On disait que Dieu les faisait pour cet homme et on les appelait ses soleils d'Austerlitz. Mais il les faisait bien lui-même avec ses canons toujours tonnants et qui ne laissaient de nuages qu'au lendemain de ses batailles.
C'était l'air de ce ciel sans tache, où brillait tant de gloire, où resplendissait tant d'acier que les enfants respiraient alors. Ils savaient bien qu'ils étaient destinés aux hécatombes; mais ils croyaient Murat invulnérable, et on avait vu passer l'Empereur sur un pont où sifflaient tant de balles qu'on ne sait s'il pouvait mourir.
Et quand même on aurait dû mourir, qu'est-ce que cela ? La mort elle-même était si belle alors, si grande, si magnifique dans sa pourpre fumante ! Elle ressemblait si bien à l'espérance, elle fauchait de si verts épis qu'elle en était comme devenue jeune et qu'on ne croyait plus à la vieillesse. Tous les berceaux de France étaient des boucliers; tous les cercueils en étaient aussi; il n'y avait vraiment plus de vieillards; il n'y avait que des cadavres ou des demi-dieux.
Cependant l'immortel Empereur était un jour sur une colline à regarder sept peuples s'égorger; comme il ne savait pas encore s'il serait le maître du monde ou seulement de la moitié, Azraël passa sur la route; il l'effleura du bout de l'aile et le poussa dans l'Océan. Au bruit de sa chute, les vieilles croyances moribondes se redressèrent sur leurs lits de douleur, et, avançant leurs pattes crochues, toutes les royales araignées découpèrent l'Europe et de la pourpre de César se firent un habit d'Arlequin.
De même qu'un voyageur, tant qu'il est sur le chemin, court nuit et jour par la pluie et par le soleil, sans s'apercevoir de ses veilles ni des dangers; mais dès qu'il est arrivé au milieu de sa famille et qu'il s'asseoit devant le feu, il éprouve une lassitude sans bornes et peut à peine se traîner à son lit; ainsi la France, veuve de César, sentit tout à coup sa blessure. Elle tomba en défaillance et s'endormit d'un si profond sommeil que ses vieux rois, la croyant morte, l'enveloppèrent d'un linceul blanc.
La vieille armée en cheveux gris rentra épuisée de fatigue, et les foyers des châteaux déserts se rallumèrent tristement.
Alors ces hommes de l'Empire qui avaient tant couru et tant égorgé embrassèrent leurs femmes amaigries et parlèrent de leurs premières amours; ils se regardèrent dans les fontaines de leurs prairies natales, et ils s'y virent si vieux, si mutilés qu'ils se souvinrent de leurs fils afin qu'on leur fermât les yeux. Ils demandèrent où ils étaient; les enfants sortirent des collèges, et, ne voyant plus ni sabres, ni cuirasses, ni fantassins, ni cavaliers, ils demandèrent à leur tour où étaient leurs pères.
Mais on leur répondit que la guerre était finie, que César était mort et que les portraits de Wellington et de Blücher étaient suspendus dans les antichambres des consulats et des ambassades, avec ces deux mots au bas : "Salvatoribus mundi".
Alors, il s'assit sur un monde en ruine, une jeunesse soucieuse. Tous ces enfants étaient des gouttes d'un sang brûlant qui avait inondé la terre; ils étaient nés au sein de la guerre, pour la guerre. Ils avaient rêvé pendant quinze ans des neiges de Moscou et du soleil des Pyramides; on les avait trempés dans le mépris de la vie comme de jeunes épées. Ils n'étaient pas sortis de leurs villes, mais on leur avait dit que par chaque barrière de ces villes on allait à une capitale d'Europe. Ils avaient dans la tête tout un monde; ils regardaient la terre, le ciel, les rues et les chemins; tout cela était vide, et les cloches de leurs paroisses résonnaient seules dans le lointain.

Merci à Joker


La Revue nocturne des fantômes de la gloire - Zedlitz "La Revue noctune", 1826
La nuit, l'ombre des grognards se mêle à celle de l'Empereur.


La nuit, vers la douzième heure, le tambour quitte son cercueil, fait la ronde avec sa caisse, va et vient d'un pas empressé.
Les mains décharnées agitent les deux baguettes en même temps : il bat ainsi plus d'un bon roulement, maint réveil et mainte retraite.
La caisse rend des sons étranges, dont la puissance est merveilleuse; ils réveillent dans leurs tombes les soldats morts depuis longtemps.
Et ceux qui, aux confins du Nord, restèrent engourdis dans la froide neige, et ceux qui gisent en Italie où la terre leur est trop chaude.
Et ceux que recouvre le limon du Nil ou le sable de l'Arabie; tous sortent de leur tombe et prennent en main leurs armes.
Et vers la douzième heure, le trompette quitte son cercueil, sonne du clairon, va et vient sur son cheval impatient.
Puis arrivent sur des coursiers aériens tous les cavaliers morts depuis longtemps : ce sont les vieux escadrons sanglants couverts de leurs armes diverses.
Les blancs crânes luisent sous les casques; les mains qui n'ont plus que leurs os dressent en l'air les longues épées.
Et vers la douzième heure, le général en chef sort de son cercueil; il arrive lentement sur son cheval, entouré de son état-major.
Il porte un petit chapeau; il porte un habit sans ornements; une épée pend à son côté.
La lune éclaire d'une pâle lueur la vaste plaine.
L'homme au petit chapeau passe en revue les troupes.
Les rangs lui présentent les armes; puis l'armée tout entière s'ébranle et défile musique en tête.
Les maréchaux, les généraux se pressent en cercle autour de lui; le général en chef dit tout bas un seul mot à l'oreille du plus proche.
Ce mot vole à la ronde de bouche en bouche et résonne bientôt jusque dans les rangs les plus éloignés : le cri de guerre est "France" ! Le mot de ralliement est "Sainte-Hélène" !
C'est la grande revue des Champs-Elysées, que le César défunt fait passer vers la douzième heure de la nuit.

Merci à Joker



Victor Hugo, "Les Rayons et les Ombres", 1840.
1840 : Napoléon est rendu à la France. Il reposera aux Invalides.

Sire, vous reviendrez dans votre capitale,
Sans tocsin, sans combat, sans lutte et sans fureur,
Traîné par huit chevaux sous l'arche triomphante,
En habit d'empereur !

Par cette même porte, où Dieu vous accompagne,
Sire, vous reviendrez sur un sublime char,
Glorieux, couronné, saint comme Charlemagne
Et grand comme César !

Sur votre sceptre d'or, qu'aucun vainqueur ne foule,
On verra resplendir votre aigle au bec vermeil,
Et sur votre manteau vos abeilles en foule
Frissonner au soleil !

Paris sur ses cent tours allumera des phares,
Paris fera parler toutes ses grandes voix;
Le cloches, les tambours, les clairons, les fanfares
Chanteront à la fois !

Joyeux comme l'enfant quand l'aube recommence,
Emu comme le prêtre au seuil du lieu sacré,
Sire ! on verra vers vous venir un peuple immense,
Tremblant, pâle, effaré,

Peuple qui sous vos pieds mettrait les lois de Sparte,
Qu'embrase votre esprit, qu'enivre votre nom,
Et qui flotte, ébloui, du jeune Bonaparte
Au vieux Napoléon !

Une nouvelle armée, ardente d'espérance,
Dont les exploits déjà sèmeront la terreur,
Autour de votre char criera : - Vive la France
Et vive l'Empereur !

En vous voyant passer, ô chef du grand empire,
Le peuple et les soldats tomberont à genoux;
Mais vous ne pourrez pas vous pencher pour leur dire :
- Je suis content de vous !

Une acclamation douce, tendre et hautaine,
Chant des coeurs ! cri d'amour où l'extase se joint,
Remplira la cité; mais, ô mon capitaine,
Vous ne l'entendrez point !

De sombres grenadiers, vétérans qu'on admire,
Muets, de vos chevaux viendront baiser les pas;
Ce spectacle sera touchant et beau; mais, sire
Vous ne le verrez pas !

Car, ô géant ! couché dans une ombre profonde,
Pendant qu'autour de vous, comme autour d'un ami,
S'éveilleront Paris, et la France et le monde,
Vous serez endormi !

Vous serez endormi, figure auguste et fière,
De ce morne sommeil, plein de rêves pesants,
Dont Barberousse, assis sur sa chaise de pierre,
Dort depuis six cents ans.

L'épée au flanc, l'oeil clos, la main encore émue
Par le dernier baiser de Bertrand éperdu,
Dans un lit où jamais le dormeur ne remue,
Vous serez étendu !

Pareil à ces soldats qui, devant cent murailles,
Avaient suivi vos pas, vainqueurs, toujours debout,
Et qui, touchés un soir par le vent des batailles,
Se couchaient tout à coup !

Leur attitude grave, altière, armée encore,
Ressemblait au sommeil et non point au trépas;
Mais la diane, hélas ! cette voix de l'aurore,
Ne les réveillait pas !

Si bien que, vous voyant glacé, dans son délire,
Et tel qu'un dieu muet qui se laisse adorer,
Ce peuple, ivre d'amour, venu pour vous sourire,
Ne pourra que pleurer.

Sire ! en ce moment-là, vous aurez pour royaume
Tous les fronts, tous les coeurs qui battront sous le ciel;
Les nations feront asseoir votre fantôme
Au trône universel.

Merci à Joker


Les chansons de Béranger diffusent la légende auprès du petit peuple.
Béranger, Les Souvenirs du peuple, 1828.

On parle de sa gloire
Sous le chaume bien longtemps
L'humble toit, dans cinquante ans,
Ne connaîtra plus d'autre histoire.
Là viendront les villageois
Dire alors à quelque vieille :
Par des récits d'autrefois,
Mère, abrégez votre veille.
Bien, dit-on, qu'il nous ait nui,
Le peuple encor le révère,
Oui, le révère,
Parlez-nous de lui, grand-mère,
Parlez-nous de lui.

Mes enfants, dans ce village,
Suivi de rois, il passa;
Voilà bien longtemps de ça :
Je venais d'entrer en ménage.
A pied grimpant le coteau
Où pour voir je m'étais mise.
Il avait petit chapeau
Avec redingote grise.
Près de lui, je me troublai;
Il me dit : "Bonjour, ma chère !"
- Il vous a parlé grand'mère !
Il vous a parlé !

L'an d'après, moi, pauvre femme,
A Paris étant un jour,
Je le vis avec sa cour :
Il se rendait à Notre-Dame.
Tous les coeurs étaient contents;
On admirait son cortège.
Chacun disait : Quel beau temps !
Le ciel toujours le protège.
Son sourire était bien doux;
D'un fils, Dieu le rendait père.
- Quel beau jour pour vous, grand'mère !
Quel beau jour pour vous !

Mais, quand la pauvre Champagne
Fut en proie aux étrangers,
Lui, bravant tous les dangers,
Semblait seul tenir la campagne.
Un soir, tout comme aujourd'hui,
J'entends frapper à ma porte.
J'ouvre, bon Dieu ! c'était lui.
Suivi d'une faible escorte.
Il s'assoit où me voilà,
S'écriant : "Oh ! quelle guerre !
Oh ! quelle guerre !"
- Il s'est assis là, grand'mère !
Il s'est assis là !

J'ai faim, dit-il, et bien vite
Je sers piquette et pain bis;
Puis il sèche ses habits.
Même à dormir le feu l'invite.
Au réveil, voyant mes pleurs,
Il me dit : "Bonne espérance !
Je cours de tous ses malheurs,
Sous Paris, venger la France."
Il part; et comme un trésor
J'ai depuis gardé son verre,
- Vous l'avez encor, grand'mère !
Vous l'avez encor !

Le voici. Mais à sa perte
Le héros fut entraîné.
Lui, qu'un pape a couronné,
Est mort dans une île déserte.
Longtemps aucun ne l'a cru;
On disait : "Il va paraître.
Par mer il est accouru;
L'étranger va voir son maître."
Quand d'erreur on nous tira,
Ma douleur fut bien amère,
- Dieu vous bénira, grand'mère,
Dieu vous bénira !

Merci à Joker


Dans son livre "Le voyage de Napoléon en 1810", paru en 1910, Maurice Collignon racontant le passage de l'Empereur à Louviers, en 1810, cite un témoin de première main :


"A tous ces témoignages écrits, je peux joindre un témoignage oral, d'ailleurs fort peu précis, celui d'une dame Lequeu, surnommée la Fillotte, qui, née le 21 février 1808, mourut le 15 juillet 1904, à l'âge de 96 ans. (1)
Marchande de légumes, sans boutique, elle se tint depuis l'âge de 15 ans jusqu'à plus de 90 ans, sur la place du Marché, d'abord abrité par la halle puis à partir de la démolition de la halle, en 1860, abritée en toute saison par un grand parasol. elle se tint là, sous le soleil et la pluie, durant d'innombrables journées, devant son éventaire, entourée de ses paniers de légumes.
Fille d'un ancien soldat qui avait franchi les Alpes sous le commandement du général Bonaparte au début de la seconde campagne d'Italie(2), elle avait conservé un culte idolâtre pour Napoléon. Elle en faisait bénéficier les descendants du grand homme, quels qu’ils fussent. Elle était une lectrice fervente des articles de Paul de Cassagnac dans l'Autorité.
Mme Lequeu ne pouvait se rappeler la visite de Napoléon Ier à Louviers que par les récits de ses parents et des autres habitants, ses contemporains. Elle avait, en effet, deux ans, trois mois et neuf jours le 1er juin 1810. Le souvenir qu'elle prétendait avoir gardé de l'évènement n'était que le reflet de la vision d'autrui et ce reflet s'était déformé avec le temps. D'ordinaire, le souvenir oral ne reste pas aussi bien gravé que le souvenir oculaire, Mme Lequeu affirmait que Napoléon était passé à cheval dans la rue du Faubourg-de-Rouen où elle habitait. Or, il était certainement en voiture. La vieille dame avait vu toute sa vie les gravures et lithographies représentant Napoléon à cheval ; les récits de son père s'effaçant peu à peu dans sa mémoire avaient été remplacés par l'impression de l'imagerie populaire fixée sur sa rétine et envahissant peu à peu son cerveau.
Trente-neuf ans après le passage de Napoléon Ier, son neveu Louis-Napoléon Bonaparte, alors président de la République, arriva en voiture par cette même rue du Faubourg- de- Rouen.
Femme mûre à cette époque, la Fillotte pouvait se remémorer ses souvenirs d'enfant, d'autant mieux que son père vivait encore et pouvait rectifier ses erreurs (3). malgré tout, Napoléon Ier devint dans sa mémoire le cavalier épique qui serait entré à Louviers comme il était entré à Berlin. Le prince Louis Bonaparte se fit un peu le complice de l'erreur dans laquelle la brave femme devait tomber : Il monta à cheval pour passer la revue de la petite garnison de Louviers et des gardes nationales de la région, réunies sur la place Royale.
Remontant du neveu à l'oncle, le dernier témoin vivant de ces deux visites les confondait dans son esprit en mêlant la légende et la vérité.
Tout n'était pas légende dans ce que racontait la brave femme.
En ce temps là, me dit-elle pour débuter, nous habitions rue du Faubourg-de-Rouen. J’ai vu passer Napoléon, il était à cheval ; il était petit et j’ai dit à mon père : « Comme il est petit pour un empereur »
-Comment, objectai-je, pouviez-vous vous rappeler cela, vous aviez deux ans et quatre mois ?
-J’avais plus que cela, je courais très bien.
-Napoléon a passé à Louviers le 1er juin 1810 ; vous n’aviez pas deux ans et demi.
-Je ne me rappelle pas quelle année il est venu et quel âge j’avais, mais je me rappelle très bien l’avoir vu. Au moment où il allait arriver, je m’amusais, avec mes frères et sœurs à me tremper les pieds dans un baquet ; mon père me dit : « Il vient, dépêche-toi ». J’ai couru les jambes nues pour le voir.
-Avez-vous remarqué des voitures dans sa suite, Marie-Louise l’accompagnait. ?
-Je ne sais pas ; je ne me rappelle pas avoir vu des voitures, vous savez, j’étais trop jeune. Je sais que les rues étaient sablées et qu’il y avait des drapeaux partout.
Mme Lequeu me parla aussi des campagnes de son père qui s’était engagé à 18 ans sous les drapeaux.
-Quand l’Empereur fut rapporté en France, me dit-elle encore, mon père alla le voir à Pont-de-l’Arche.
-Lors du retour des cendres ? observai-je pour préciser ;
-Ce n’étaient pas des cendres, me répondit-elle ; c’était son corps et mon père m’a dit qu’il n’avait pas changé, qu’il était très ressemblant.
Comme on peut le constater, malgré son grand âge, cette brave avait encore du caractère. Mais reprenons le cours des questions de monsieur Collignon
-Mon père était tondeur à la fabrique Ternaux me dit encore Mme Lequeu. Tous les ouvriers de l'usine ont reçu la paie de quinze jours. mon père a reçu soixante francs. C'était un cadeau de l'Empereur.
-Les soixante francs de gratification à votre père devaient représenter plutôt la paie d’un mois. Lorsque Napoléon visitait une manufacture, il avait l’habitude de donner aux ouvriers une somme équivalente à un mois de leur salaire.
-C’est bien possible !...Je me rappelle encore que le jour où l’Empereur est venu, il y eut un incendie rue de la laiterie.
-Savez-vous à quelle heure ?
-Non, je ne sais pas ; l’incendie a dérangé l’arrivée ; tout le monde courait vous comprenez.
-Vous ne savez pas si l’Empereur est venu à l’incendie ?
-Non, mais je sais encore qu’il faisait très chaud ce jour-là, et le tonnerre est tombé sur un arbre à la Fringale.
Ici se termine l’interview, par Maurice Collignon de madame Lequeu, survivante ce cette époque héroïque.

(1) Maurice Collignon interrogea ce précieux témoin en janvier 1903.
(2) Son père, Michel-Marc Lequeu, partit à 18 ans pour l'armée, au 16e Dragons, avait franchi les Alpes au mont St-Bernard dans le corps d'armée que Bonaparte électrisait par sa présence. Blessé à la jambe, il était revenu à Louviers et s'était marié le 10 janvier 1803. sa fille "La Fillotte" me raconta que le soir, aux veillées, chacun s'asseyait sur un chouquet autour de la cheminée et les vieux soldats racontaient leurs campagnes. Lorsque les cendres de l'Empereur furent ramenées de l'île Sainte-Hélène à Paris, en 1840, Michel-Marc Lequeu, l'ancien soldat du premier consul Bonaparte, se rendit à l'écluse de Pont-de-l'Arche et vit sur le pont de La Dorade n°3 le cercueil de ce grand conquérant qu'il avait vu étant jeune dans les neiges du mont St-Bernard et qu'il avait aperçu douze ans plus tard dans les rues de Louviers.
(3) Michel Lequeu mourut à Louviers le 4 octobre 1859, médaillé de Ste-Hélène.

Merci à Jean-Yves


L'Empereur.



"Une scène de l'enfer" - Antoine Wiertz, peintre belge - 1806-1865.
Merci à Jiem.



LUI ! Victor Hugo, Les Orientales, 1829.

Toujours lui ! lui partout ! - ou brûlante ou glacée,
Son image sans cesse ébranle ma pensée.
Il verse à mon esprit le souffle créateur.
Je tremble, et dans ma bouche abondent les paroles
Quand son nom gigantesque, entouré d'auréoles,
Se dresse dans mon vers de toute sa hauteur.

Là, je le vois, guidant l'obus aux bonds rapides;
Là, massacrant le peuple au nom des régicides;
Là, soldat, aux tribuns arrachant leurs pouvoirs;
Là, consul jeune et fier, amaigri par des veilles
Que des rêves d'empire emplissaient de merveilles,
Pâle sous ses longs cheveux noirs.

Puis, empereur puissant, dont la tête s'incline,
Gouvernant un combat du haut de la colline,
Promettant une étoile à ses soldats joyeux,
Faisant signe aux canons qui vomissent les flammes,
De son âme à la guerre armant six cent mille âmes,
Grave et serein, avec un éclair dans les yeux.

Puis, pauvre prisonnier, qu'on raille et qu'on tourmente,
Croisant ses bras oisifs sur son sein qui fermente,
En proie aux geôliers vils comme un vil criminel,
Vaincu, chauve, courbant son front noir de nuages,
Promenant sur un roc où passent les orages
Sa pensée, orage éternel.

Qu'il est grand, là surtout ! quand, puissance brisée,
Des porte-clefs anglais misérable risée,
Au sacre du malheur il retrempe ses droits;
Tient au bruit de ses pas deux mondes en haleine,
Et mourant de l'exil, gêné dans Sainte-Hélène,
Manque d'air dans la cage où l'exposent les rois !

Qu'il est grand à cette heure où, prêt à voir Dieu même,
Son oeil qui s'éteint roule une larme suprême !
Il évoque à sa mort sa vieille armée en deuil,
Se plaint à ses guerriers d'expirer solitaire,
Et, prenant pour linceul son manteau militaire,
Du lit de camp passe au cercueil !

Histoire, poésie, il joint du pied vos cîmes.
Eperdu, je ne puis dans ces mondes sublimes
Remuer rien de grand sans toucher à son nom;
Oui, quand tu m'apparais, pour le culte ou le blâme,
Les chants volent pressés sur mes lèvres de flamme,
Napoléon ! soleil dont je suis le Memnon !

Tu domines notre âge; ange ou démon, qu'importe !
Ton aigle dans son vol, haletants nous emporte.
L'oeil même qui te fuit te retrouve partout.
Toujours dans nos tableaux tu jettes ta grande ombre;
Toujours Napoléon éblouissant et sombre
Sur le seuil du siècle est debout.

Merci à Joker


La Saint-Napoléon


La Saint-Napoléon - Quand le 14 juillet se fêtait le 15 août, Sudhir Hazareesingh, Tallandier juillet 2007.


"La Saint-Napoléon

Instituée par décret du 16 février 1852, la Saint Napoléon entendait favoriser l’instauration d’un ordre civique radicalement différent, susceptible de « réunir tous les esprits dans le sentiment commun de la gloire nationale ». Le choix de cette date fut la première d’une série de tentatives visant à « bonapartiser » consciemment le régime issu du coup d’État de décembre 1851 – processus qui culminerait dans la restauration de l’Empire à la fin de cette même année. De 1852 à 1869, dans le droit fil de la tradition établie par le premier Empire, dix-huit célébrations officielles consécutives de cette fête eurent lieu dans toute la France.

….En fin de compte, Louis-Napoléon se rallia à l’idée d’une célébration annuelle le 15 août : ce choix était tout à la fois un hommage historique à son oncle Napoléon Bonaparte et un instrument politique pour affermir son propre règne impérial. Mais il renvoyait aussi à son enfance et à son adolescence personnelles, au temps où il célébrait la Saint-Napoléon avec ses amis, par des réceptions intimes et de feux d’artifice."



Après la Révolution on célébrait le 14 juillet comme fête de la « Liberté », qui en 1799 se transforma en fête de la « Concorde ».
Ce ne sera qu’en 1804 que le 14 juillet cèdera sa place à la Saint-Napoléon, le 15 août. Rappelons que Saint Napoléon est un saint inventé pour les besoins de la propagande impériale.

Après 1814, bien sûr, Saint Napoléon va disparaître des autels politiques pour être remplacé par Saint Louis, le 5 août.
Par la suite le 14 juillet ne sera pas rétabli par la première République.

Ce sera le futur Napoléon III qui officialisera à nouveau la Saint-Napoléon en 1852 comme fête nationale.

Mais en 1880 une loi promulguée le 6 juillet fixera définitivement la date de la fête nationale française; elle se célèbrera désormais le 14 juillet.


Merci à Diana



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