Documents: réponses de Napoléon en 1815.


Le 20 juin 1815.



Fragment d'un discours de l'empereur dans une séance du conseil d'état, tenue à l'Elysée.


.... Je n'ai plus d'armée, je n'ai plus que des fuyards. Je retrouverai des hommes, mais comment les armer? Je n'ai plus de fusils. Cependant avec de l'union, tout pourrait se réparer. J'espère que les députés me seconderont, qu'ils sentiront la responsabilité qui va peser sur eux; vous avez mal jugé, je crois, de leur esprit; la majorité est bonne, est française. Je n'ai contre moi que Lafayette, Lanjuinais, Flaugergues et quelques autres. Ils ne veulent pas de moi, je le sais, je les gêne. Ils voudraient travailler pour eux..... Je ne les laisserai pas faire. Ma présence ici les contiendra.....

..... Nos malheurs sont grands. Je suis venu pour les réparer, pour imprimer à la nation, à l'armée, un grand et noble mouvement. Si la nation se lève, l'ennemi sera écrasé; si, au lieu de levée, de mesures extraordinaires, on dispute, tout est perdu. L'ennemi est en France. J'ai besoin, pour sauver la patrie, d'un grand pouvoir, d'une dictature temporaire. Dans l'intérêt de la nation, je pourrais me saisir de ce pouvoir, mais il serait utile et plus national qu'il me fût donné par les chambres....

.....La présence de l'ennemi sur le sol national rendra, je l'espère, aux députés, le sentiment de leurs devoirs. La nation ne les a pas envoyés pour me renverser, mais pour me soutenir. Je ne les crains point. Quelque chose qu'ils fassent, je serai toujours l'idole du peuple et de l'armée. Si je disais un mot, ils seraient tous assommés. Mais en ne craignant rien pour moi, je crains tout pour la France. Si nous nous querellons entre nous au lieu de nous entendre, nous aurons le sort du Bas-Empire, tout sera perdu. Le patriotisme de la nation, son attachement à ma personne, nous offrent encore d'immenses ressources, notre cause n'est point désespérée.....



Au palais de l'Elysée, le 22 juin 1815.



Déclaration au peuple français.



Français! en commençant la guerre pour soutenir l'indépendance nationale, je comptais sur la réunion de tous les efforts, de toutes les volontés, et le concours de toutes les autorités nationales. J'étais fondé à en espérer le succès, et j'avais bravé toutes les déclarations des puissances contre moi. Les circonstances paraissent changées. Je m'offre en sacrifice à la haine des ennemis de la France. Puissent-ils être sincères dans leurs déclarations, et n'en avoir jamais voulu qu'à ma personne! Ma vie politique est terminée, et je proclame mon fils sous le titre de Napoléon II, empereur des Français. Les ministres actuels formeront provisoirement le conseil de gouvernement. L'intérêt que je porte à mon fils m'engage à inviter les chambres à organiser sans délai la régence par une loi. Unissez-vous tous pour le salut public et pour rester une nation indépendante.

NAPOLÉON.



Paris, 22 juin 1815.



Réponse de l'empereur à une députation de la chambre des représentans, envoyée pour le féliciter sur sa seconde abdication.



Je vous remercie des sentimens que vous m'exprimez; je désire que mon abdication puisse faire le bonheur de la France, mais je ne l'espère point; elle laisse l'état sans chef, sans existence politique. Le temps perdu à renverser la monarchie aurait pu être employé à mettre la France en état d'écraser l'ennemi. Je recommande à la chambre de renforcer promptement les armées; qui veut la paix doit se préparer à la guerre. Ne mettez pas cette grande nation à la merci des étrangers. Craignez d'être déçus dans vos espérances. C'est là qu'est le danger. Dans quelque position que je me trouve, je serai toujours bien si la France est heureuse.



Paris, 23 juin 1815.



Discours de Napoléon aux ministres, en apprenant que la chambre des représentans venait de nommer une commission de gouvernement composée de cinq membres.



Je n'ai point abdiqué en faveur d'un nouveau directoire; j'ai abdiqué en faveur de mon fils. Si on le proclame point, mon abdication est nulle et non avenue. Les chambres savent bien que le peuple, l'armée, l'opinion, le désirent, le veulent, mais l'étranger les retient. Ce n'est point en se présentant devant les alliés, l'oreille basse et le genou à terre, qu'elles les forceront à reconnaître l'indépendance nationale. Si elles avaient eu le sentiment de leur position, elles auraient proclamé spontanément Napoléon II. Les étrangers auraient vu alors que vous saviez avoir une volonté, un but, un point de ralliement; ils auraient vu que le 20 mars n'était point une affaire de parti, un coup de factieux, mais le résultat de l'attachement des Français à ma personne et à ma dynastie. L'unanimité nationale auraient plus agi sur eux que toutes vos basses et honteuses déférences.



La Malmaison, le 25 juin 1815.



PROCLAMATION.

Aux braves soldats de l'armée devant Paris.



Soldats!

Quand je cède à la nécessité qui me force de m'éloigner de la brave armée française, j'emporte avec moi l'heureuse certitude qu'elle justifiera par les services éminens que la patrie attend d'elle, les éloges que nos ennemis eux-mêmes ne peuvent pas lui refuser.

Soldats! je suivrai vos pas, quoiqu'absent. Je connais tous les corps, et aucun d'eux ne remportera un avantage signalé sur l'ennemi, que je ne rende justice au courage qu'il aura déployé. Vous et moi nous avons été calomniés. Des hommes indignes d'apprécier vos travaux ont vu, dans les marques d'attachement que vous m'avez données, un zèle dont j'étais le seul objet; que vos succès futurs leur apprennent que c'était la patrie pardessus tout que vous serviez en m'obéissant; et que si j'ai quelque part à votre affection, je la dois à mon ardent amour pour la France, notre mère commune.

Soldats! encore quelques efforts et la coalition est dissoute. Napoléon vous reconnaîtra aux coups que vous allez porter.

Sauvez l'honneur, l'indépendance des Français; soyez jusqu'à la fin, tels que je vous ai connus depuis vingt ans, et vous serez invincibles!

NAPOLÉON.



Paris, 25 juin 1815.



Discours de l'empereur à un membre de la chambre des représentans, en apprenant que MM. de Lafayette, de Pontécoulant, de Laforêt, d'Argenson, Sébastiani et Benjamin Constant (ce dernier en qualité de secrétaire), étaient nommés par le gouvernement provisoire pour se rendre auprès des souverains alliés.



...........Lafayette, Sébastiani, Pontécoulant, Benjamin Constant ont conspiré contre moi; ils sont mes ennemis, et les ennemis du père ne seront jamais les amis du fils. Les chambres, d'ailleurs, n'ont point assez d'énergie pour avoir une volonté indépendante; elles obéissent à Fouché. Si elles m'eussent donné tout ce qu'elles lui jettent à la tête, j'aurais sauvé la France; ma présence seule à la tête de l'armée aurait plus fait que toutes vos négociations; j'aurais obtenu mon fils pour prix de mon abdication; vous ne l'obtiendrez pas. Fouché n'est point de bonne foi. Il jouera les chambres, et les alliés le joueront. Il se croit en état de tout conduire à sa guise; il se trompe: il verra qu'il faut une main autrement trempée que la sienne, pour tenir les rênes d'une nation, surtout lorsque l'ennemi est chez elle.... La chambre des pairs n'a point fait son devoir; elle s'est conduite comme une poule mouillée. Elle a laissé insulter Lucien et détrôner mon fils; si elle eût tenu bon, elle aurait eu l'armée pour elle, les généraux la lui auraient donnée. Son ordre du jour a tout perdu. Moi seul je pourrais tout réparer, mais vos meneurs n'y consentiront jamais; ils aimeraient mieux s'engloutir dans l'abîme que de s'unir avec moi pour le fermer.

La Malmaison, 27 juin 1815.

En abdiquant le pouvoir, je n'ai point renoncé au plus noble droit de citoyen, au droit de défendre mon pays.

L'approche des ennemis de la capitale ne laisse plus de doutes sur leurs intentions, sur leur mauvaise foi.

Dans ces graves circonstances, j'offre mes services comme général, me regardant encore comme le premier soldat de la patrie.

NAPOLÉON.



La Malmaison, 27 juin 1815.



Plaintes de Napoléon à ses amis, en apprenant que les membres du gouvernement provisoire refusaient d'acquiescer à sa demande de servir sa patrie en qualité de général.



Ces gens-là sont aveuglés par l'envie de jouir du pouvoir et de continuer de faire les souverains; ils sentent que s'ils me replaçaient à la tête de l'armée, ils ne seraient plus que mon ombre, et ils nous sacrifient, moi et la patrie, à leur orgueil, à leur vanité. Ils perdront tout.... Mais pourquoi les laisserais-je régner? J'ai abdiqué pour sauver la France, pour sauver le trône de mon fils. Si ce trône doit être perdu, j'aime mieux le perdre sur le champ de bataille qu'ici. Je n'ai rien de mieux à faire pour vous tous, pour mon fils et pour moi, que de me jeter dans les bras de mes soldats. Mon apparition électrisera l'armée; elle foudroiera les étrangers; ils sauront que je ne suis revenu sur le terrain que pour leur marcher sur le corps, ou me faire tuer; et ils vous accorderaient, pour se délivrer de moi, tout ce que vous leur demanderez. Si, au contraire, vous me laissez ici ronger mon épée, ils se moqueront de vous. Il faut en finir: si vos cinq empereurs ne veulent pas de moi pour sauver la France, je me passerai de leur consentement. Il me suffira de me montrer, et Paris et l'armée me recevront une seconde fois en libérateur....

(Le duc de Bassano lui représentant que les chambres ne seraient pas pour lui)... Allons, je le vois bien, il faut toujours céder... Vous avez raison, je ne dois pas prendre sur moi la responsabilité d'un tel événement. Je dois attendre que la voix du peuple, des soldats et des chambres me rappelle. Mais comment Paris ne me demande-t-il pas? On ne s'aperçoit donc pas que les alliés ne vous tiennent aucun compte de mon abdication? (Bassano repart qu'on paraît se fier à la générosité des souverains alliés.) Cet infâme Fouché vous trompe. La commission se laisse conduire par lui; elle aura de grands reproches à se faire. Il n'y a là que Caulincourt et Carnot qui vaillent quelque chose, mais ils sont mal appareillés. Que peuvent-ils faire avec un traître (Fouché), deux niais (Quinette et Grenier) et deux chambres qui ne savent ce qu'elles veulent? Vous croyez tous, comme des imbéciles, aux belles promesses des étrangers. Vous croyez qu'ils vous mettront la poule au pot, et vous donneront un prince de leur façon, n'est-ce pas? Vous vous abusez: Alexandre, malgré ses grands sentimens, se laissera influencer par les Anglais; il les craint; et l'empereur d'Autriche fera, comme en 1814, ce que les autres voudront.



Rochefort, le 13 juillet 1815.



Au prince-régent d'Angleterre.


Altesse royale,

En butte aux factions qui divisent mon pays et à l'inimitié des plus grandes puissances de l'Europe, j'ai terminé ma carrière politique, et je viens, comme Thémistocle, m'asseoir aux foyers du peuple britannique. Je me mets sous la protection de ses lois, que je réclame de votre altesse royale, comme le plus puissant, le plus constant et le plus généreux de mes ennemis.

NAPOLÉON.

Source. - image.



5 août 1815- A bord du Bellérophon, à la mer.



Enfermé dans sa chambre du Bellerophon qui roule bord sur bord sous la tempête, Napoléon juge qu’il vit ses dernières heures en Europe. N’attendant plus rien du présent, il lance un message vers l’avenir et dicte à Las Cases la protestation qui, frappant 1’Angleterre d’un éternel déshonneur, rendra un son si grave dans le monde.



Je proteste solennellement ici, à la face du Ciel et des hommes, contre la violence qui m’est faite, contre la violation de mes droits les plus sacrés, en disposant par la force de ma personne et de ma liberté. Je ne suis pas le prisonnier, mais l’hôte de l’Angleterre. Si le gouvernement, en donnant des ordres au capitaine du Bellérophon de me recevoir, ainsi que ma suite, n’a voulu que tendre une embûche, il a forfait à l’honneur et flétri son pavillon…
J’en appelle à l’Histoire. Elle dira qu’un ennemi qui fit vingt ans la guerre au peuple anglais, vint librement, dans son infortune, chercher un asile sous ses lois ; quelle plus éclatante preuve pouvait-il donner de son estime et de sa confiance ? Mais comment répondit-on en Angleterre à une telle magnanimité ? On feignit de tendre une main hospitalière à cet ennemi et, quand il se fut livré de bonne foi, on l’immola.

NAPOLÉON

Les derniers jours de l’Empire - H.Lachouque - Artaud – 1965 - p.266



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