Chronologie: 23, 24 janvier 1814.




Les adieux à sa femme et à son fils.



Histoire du Consulat et de l’Empire, tome 17 – p.211– Adolphe Thiers – Plon, 1860


Napoléon, à la veille de son départ, voulut voir et haranguer les officiers de la garde nationale à laquelle il allait confier la sûreté intérieure et extérieure de Paris. On avait composé la garde nationale non pas de cette classe populaire, courageuse et robuste, aussi capable de défendre bravement ce qu’on lui confie, que de renverser maladroitement, mais des gens aisés, ennemis de la révolution, n’ayant pas oublié que Napoléon avait sauvé la France de l’anarchie, quoique lui reprochant de l’avoir précipitée dans une guerre funeste, détestant la république, et ayant peu d’entraînement pour les Bourbons. Napoléon, en voulant disputer les dehors de Paris avec ses soldats, se proposait de laisser à la garde nationale le soin de préserver sa femme et son fils contre un mouvement anarchiste ou royaliste, tenté dans l’intérieur de la capitale. Il reçut donc les officiers de cette garde aux Tuileries, ayant sa femme d’un côté, son fils de l’autre, puis s’avançant au milieu d’eux, leur montrant cet enfant appelé naguère à de si hautes destinées, et aujourd’hui voué peut-être à l’exil et à la mort, il leur dit qu’il allait s’éloigner pour défendre eux et leurs familles, et rejeter hors du territoire l’ennemi qui venait de franchir nos frontières, mais qu’en partant il mettait en dépôt entre leurs mains ce qu’il avait de plus cher après la France, c’est-à-dire sa femme et son fils, et partait tranquille en confiant de pareils gages à leur honneur. La vue de ce grand homme, réduit après tant de merveilles à de telles extrémités, tenant son fils dans ses bras, le présentant à leur dévouement, produisit sur eux la plus vive émotion, et ils promirent bien sincèrement de ne pas livrer à d’autres le glorieux trône de France. Hélas ! ils le croyaient ! Lequel d’entre eux, en effet, bien que le champ fut ouvert alors à toutes les suppositions, lequel pouvait prévoir en ce moment les scènes si différentes qui se passeraient bientôt dans ces Tuileries, et confondraient la prévoyance, non seulement de ceux qui les occupaient, mais de leurs successeurs, et des successeurs de leurs successeurs !

Napoléon partit le lendemain pour Châlons, et en partant, sans savoir qu’il les embrassait pour la dernière fois, serra fortement dans ses bras sa femme et son fils. Sa femme pleurait et craignait de ne plus le revoir. Elle était destinée à ne plus le revoir, en effet, sans que les boulets ennemis dussent l’enlever à son affection ! On l’eût bien surprise assurément si on lui eût dit que ce mari, actuellement l’objet de toutes ses sollicitudes, mourrait dans une île de l’Océan, prisonnier de l’Europe, et oublié d’elle !


André Castelot, L’histoire de Napoléon Bonaparte : le commencement de la fin, Presses Pocket, 1971, p.271


- Je vais battre papa François ! annonce-t-il à Marie-Louise qui ne cesse de pleurer.
La scène se déroule après le dîner. L’Impératrice et Hortense se chauffent devant l’âtre, dont le feu est alimenté par les liasses de papiers que Napoléon y jette sans cesse. Chaque fois qu’il s’approche de la cheminée, il embrasse la jeune femme :
- Ne sois pas triste, aie confiance en moi !

Le jour du 25 janvier n’est pas encore levé lorsque l’Empereur, avant de monter dans sa berline, va, sur la pointe des pieds, regarder dormir son fils, le petit roi sans royaume qu’il ne devait plus jamais revoir.


Max Gallo, Napoléon – volume 4 : l’immortel de Sainte-Hélène – Robert Laffont, 1997, Pocket, 1999 – p.243


S’il perd la partie, il ne reverra plus tous ceux qu’il laisse ici, sa femme, son fils.
Il ne lui restera que la mort.
Et s’il gagne ?
Il ne peut imaginer ce qui adviendra. Mais il ne pourra pas reconquérir l’Europe, reconstituer ce Grand Empire, redevenir l’Empereur des rois. Il le sait. Il n’entrera plus dans Vienne, Moscou, Madrid, Berlin, Varsovie. Cela a eu lieu. Et ne pourra plus être.
Il va se battre le dos au gouffre.
Il jette une poignée de lettres dans la cheminée. Il écrit à Joseph. « Mon aîné. Aîné, lui ! Pour la vigne de mon père sans doute ! » « C’est une de mes fautes d’avoir cru mes frères nécessaires pour assurer ma dynastie. »
Mais il écrit quelques lignes pour désigner Joseph comme lieutenant général de l’Empire, aux côtés de l’Impératrice régente.
Joseph, même s’il est incapable, s’il a perdu l’Espagne, Joseph ne m’a jamais trahi.
Peut-être.

Mais combien sont les hommes sur qui il peut compter ? Ceux du peuple. Mais un peuple qui n’est pas dirigé devient une populace.
Il appelle son secrétaire, dicte une première consigne : faire partir avant cinq heures du matin le pape et le conduire de Fontainebleau à Rome.
Puis, d’un geste, il indique qu’il veut rester seul.
Quelques papiers encore à détruire. Et voilà qu’il est déjà deux heures du matin.
Il sort de son cabinet, traverse les galeries des Tuileries désertes.

Quand reviendra-t-il ici ? Qui reverra-t-il ?
Il entre dans la chambre de son fils à pas de loup. Dans la pénombre, il aperçoit Mme de Montesquiou. Elle sursaute. Il fait signe à la gouvernante de ne pas bouger, de se taire.
Il s’approche du lit où dort l’enfant.
Il le regarde longuement dans la faible lumière de la veilleuse.
Il se baisse, effleure des lèvres le front de son fils. Puis s’éloigne.
Dans la cour, la berline et cinq voitures de poste sont alignées. Des généraux et des officiers d’ordonnance forment un groupe sombre.
Il est trois heures du matin ce mardi 25 janvier 1814.


Dominique de Villepin, La chute ou l’Empire de la solitude – 1807-1814 – Perrin, 2008 – p.418


Il quitte Paris le 25 janvier 1814 à quatre heures du matin après avoir confié deux jours plus tôt sa femme et son fils aux officiers de la garde nationale réunis aux Tuileries. La scène appartient à la mythologie napoléonienne. Avec une émotion visible, Napoléon leur remet «ce que j’ai de plus cher après la France […..] ». La suite du discours se révélera prémonitoire : « Il pourrait arriver toutefois, que par les manœuvres que je vais être obligé de faire, les ennemis trouvassent le moment de s’approcher de vos murailles. Si la chose avait lieu, souvenez-vous que ce ne pourra être l’affaire que de quelques jours, et que j’arriverai bientôt à votre secours. Je vous recommande d’être unis entre vous et de résister à toutes des insinuations qui tendraient à vous diviser. On ne manquera pas de chercher à ébranler votre fidélité à vos devoirs, mais je compte sur vous pour repousser toutes ces perfides instigations. » A la fin, Napoléon prend son fils dans ses bras et le présente à la face des officiers qui hurlent « Vive l’Empereur ! Vive l’Impératrice ! Vive le roi de Rome ! ». Le soir, il paraît sombre et prend congé de ses entours en leur disant : « Au revoir, messieurs, nous nous reverrons peut-être. » Il ne pouvait pas savoir qu’il ne les reverrait jamais.


Les mémoires intimes de Napoléon 1er, par Constant, son valet de chambre – Mercure de France 1967 – p.420


La veille de son départ pour l’armée, l’empereur reçut le corps d’officiers de la garde nationale parisienne. La réception se fit dans la grande salle des Tuileries. Cette cérémonie fut imposante et triste. L’empereur se présenta à l’assemblée avec Sa Majesté l’impératrice, et tenant par la main de roi de Rome, âgé de trois ans moins deux mois. Quoique le discours qu’il prononça dans cette circonstance soit déjà connu, je le répète ici ne voulant point que ces belles et solennelles paroles de mon ancien maître manquent dans mes Mémoires :

« Messieurs les officiers de la garde nationale, j’ai du plaisir à vous voir réunis autour de moi. Je pars cette nuit pour aller me mettre à la tête de l’armée. Je laisse avec confiance sous votre garde, en quittant la capitale, ma femme et mon fils, sur lesquels sont placées tant d’espérances. Je vous devais ce témoignage de confiance pour tous ceux que vous n’avez cessé de me donner dans les principales époques de ma vie. Je partirai l’esprit dégagé d’inquiétude lorsqu’ils seront sous votre fidèle garde. Je vous laisse ce que j’ai de plus cher au monde après la France, et le remets à vos soins.
« Il pourrait arriver que, par des manœuvres que je vais faire, les ennemis trouvassent le moment de s’approcher de vos murailles. Si la chose avait lieu, souvenez-vous que ce ne peut être que l’affaire de quelques jours, et que j’arriverai bientôt à votre secours. Je vous recommande d’être unis entre vous et de résister à toutes les insinuations qui tendraient à vous diviser. On ne manquera pas de chercher à ébranler votre fidélité à vos devoirs ; mais je compte que vous repousserez ces perfides instigations. »

A la fin de ce discours, l’empereur arrêta ses regards sur l’impératrice et sur le roi de Rome, que son auguste mère tenant dans ses bras ; en montrant des yeux et du geste à l’assemblée cet enfant, dont la physionomie expressive semblait répondre à la solennité de la circonstance, il ajouta d’une voix émue : « je vous le confie, Messieurs ; je le confie à l’amour de ma fidèle ville de Paris. » A ces mots de Sa Majesté, mille cris et mille bras se levèrent, jurant de garder et de défendre ce dépôt précieux. L’impératrice, baignée de larmes, et pâle des émotions diverses dont elle était agitée, allait se laisser tomber, si l’empereur ne l’eût soutenue dans ses bras. A cette vue, l’enthousiasme fut à son comble ; des pleurs coulèrent de tous les yeux, et il n’y avait aucun des assistants qui ne parût, en se retirant, disposé à donner son sang pour la famille impériale.








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