Chronologie: la première abdication de l'Empereur.


Alexandre Dumas, "Napoléon", 1839.


Napoléon reste seul contre le monde entier. Il a cent cinquante mille hommes à peine à opposer à ces masses immenses. Mais il a retrouvé, sinon la confiance, du moins le génie de ses jeunes années : la campagne de 1814 sera son chef-d'oeuvre stratégique.
D'un coup d'oeil, il a tout vu, tout embrassé, et, autant qu'il est au pouvoir d'un homme, il a paré à tout.
Maison est chargé d'arrêter Bernadotte en Belgique ; Augereau marchera au-devant des Autrichiens à Lyon ; Soult maintiendra les Anglais derrrière la Loire ; Eugène défendra l'Italie ; pour lui, il se chargera de Blücher et de Schwartzenberg.
Il se jette entre eux avec soixante mille hommes, court d'une armée à l'autre, écrase Blücher à Champaubert, à Montmirail, à Château-Thierry, et à Montereau. En dix jours, Napoléon a remporté cinq victoires, et les alliés ont perdu quatre-vingt-dix mille hommes.
Alors, de nouvelles négociations se renouent à Châtillon-sur-Seine : mais les souverains alliés, de plus en plus exigeants, proposent des conditions inacceptables. Ce n'était plus seulement les conquêtes de Napoléon qu'il s'agissait d'abandonner, c'étaient les limites de la République qu'il fallait échanger contre celles de la vieille monarchie.
Napoléon répondit par un de ces élans de lion qui lui étaient si familiers. Il bondit de Méry-sur-Seine à Craonne, de Craonne à Reims, et de Reims à Saint-Dizier. Partout où il rencontre l'ennemi, il le chasse, le culbute, l'écrase. Mais, derrière lui, cet ennemi se reforme, et, toujours vaincu, avance toujours.
C'est que partout où Napoléon n'est pas, sa fortune est absente.
Les Anglais sont entrés à Bordeaux ; les Autrichiens occupent Lyon ; l'armée de Belgique, réunie aux débris de l'armée de Blücher, reparaît sur ses derrières. Ses généraux sont mous, paresseux, fatigués. Chamarrés de cordons, écrasés de titres, gorgés d'or, ils ne veulent plus se battre.
Trois fois les Prussiens, qu'il croit tenir à sa merci, lui échappent : la première fois, sur la rive gauche de la Marne, par une gelée subite qui raffermit les boues au milieu desquelles ils devaient périr ; la seconde fois, sur l'Aisne, par la reddition de Soissons, qui leur ouvre un passage en avant au moment où ils ne peuvent plus reculer en arrière ; enfin, à Craonne, par la négligence du duc de Raguse, qui se laisse enlever une partie de son matériel par une surprise de nuit.
Tous ces présages n'échappent point à Napoléon, qui sent que, malgré ses efforts, la France lui échappe des mains. Sans espoir d'y conserver un trône, il veut au moins y obtenir une tombe, et fait, mais inutilement, tout ce qu'il peut pour se faire tuer, à Arcis-sur-Aube et à Saint-Dizier. Il a fait un pacte avec les boulets et les balles.
Le 29 mars, il reçoit à Troyes, où il a poursuivi Wintzingerode, la nouvelle que les Prussiens et les Russes marchent en colonnes serrées sur Paris.
Il part aussitôt, arrive le 1er avril à Fontainebleau, et apprend que Marmont a capitulé la veille, à cinq heures du soir, et que, depuis le matin, les alliés occupent la capitale.
Trois partis lui restaient à prendre.
Il avait encore à ses ordres cinquante mille soldats, les plus braves et les plus dévoués de l'univers. Il ne s'agissait, pour être sûr d'eux, que de remplacer les vieux généraux, qui avaient tout à perdre, par les jeunes colonels, qui avaient tout à gagner : à sa voix encore puissante, la population pouvait s'insurger, mais alors, Paris était sacrifié ; les alliés le brûlaient en se retirant ; et il n'y a qu'un peuple comme les Russes que l'on puisse sauver par un pareil remède.
Le second était de gagner l'Italie, en ralliant les vingt-cinq mille hommes d'Augereau, les dix-huit mille du général Grenier, les quinze mille du maréchal Suchet, et les quarante mille du maréchal Soult. Mais ce parti n'amenait aucun résultat : la France restait occupée par l'ennemi, et les plus grands malheurs pouvaient résulter pour elle de cette occupation.
Restait le troisième, qui était de se retirer derrière la Loire, et de faire la guerre de partisans.
Les alliés vinrent fixer ses irrésolutions, en déclarant que l'Empereur Napoléon était le seul obstacle à la paix générale.
Cette déclaration ne lui laissait plus que deux ressources : sortir de la vie à la manière d'Annibal ; descendre du trône à la manière de Sylla.
Il tenta, dit-on, la première : le poison de Cabanis fut impuissant.
Alors, il se décida à recourir à la seconde ; et, sur un chiffon de papier, aujourd'hui perdu, il écrivit ces lignes, les plus importantes peut-être qu'une main mortelle aient jamais tracées :
"Les puissances alliées ayant proclamé que l'empereur Napoléon était le seul obstacle au rétablissement de la paix en Europe, l'empereur Napoléon, fidèle à son serment, déclare qu'il renonce pour lui et ses héritiers au trône de France et d'Italie, parce qu'il n'est aucun sacrifice personnel, même celui de la vie, qu'il ne soit prêt à faire à la France."
Pendant un an, le monde sembla vide.

Merci à Joker.


Le 4 avril, à Fontainebleau - Extrait des Mémoires du Compte de Ségur, Campagne de France.

Le 4 avril, vers onze heures du matin, Ney, Berthier, Caulaincourt, Moncey, Le Duc de Bassano, et le Maréchal Lefebvre, étaient réunis dans la salle à manger de l'Empereur : Ils y attendaient ses ordres. Napoléon parut; sa figure était chargée de soucis. "Restez!" leur dit-il. d'une voix brève et encore impérieuse. Puis, sans proférer une parole de plus, il déjeuna précipitamment, rentra seul dans le salon, et y fit presque aussitôt appeler ces mêmes personnages, acteurs ou témoins, excepté le Duc de Vicence, de la scène décisive qui avait eu lieu la veille. Là, comme aux autres levers, on se rangea en cercle, debout, et dans une attitude immobile, attentive et silencieuse. L'Empereur, au contraire, dans une vive agitation, allait, venait à grands pas, ses regards fixé à terre, se débattant intérieurement contre la nécessité, et ne pouvant s'arracher à lui-même le cruel aveu de sa défaite !

Cette lutte muette était douloureuse, elle dura trois minutes. Enfin, relevant brusquement la tête, il parcourut des yeux ces grands officiers, évite ceux de Ney, s'arrêta devant le maréchal Moncey, et, regardant Caulaincourt: "Eh bien, oui, s'écria t’il avec effort, puisqu'ils ne veulent plus traiter avec moi, puisque ma résistance serait cause d'une guerre civile, je saurai me sacrifier au bonheur de la France: j'abdiquerai ! "
A ces mots, Moncey se précipita, saisit la main, la baisa, et lui dit :" Ah ! sire, vous sauvez la France ! Recevez mon tribut d'admiration et de reconnaissance !" puis, comme L'Empereur le regardait avec surprise, il ajouta : " Ne vous y méprenez pas; c'est mon sentiment, Sire; mais ordonnez, et partout où vous le voudrez, je n'en suis pas moins prêt à vous suivre ! " Ce second mouvement, digne du coeur de Moncey, frappa moins l'Empereur que le premier cri de ce maréchal. Il appela Fain, reçut de sa main le projet d'abdications, et le remit au Duc de Vicence.

Ce dernier lut alors, à haute voix, l'acte suivant :

"Les puissances alliées ayant proclamé que l'Empereur Napoléon était le seul obstacle au rétablissement de la paix en Europe, l'Empereur Napoléon, fidèle à son serment, déclare qu'il est prêt à descendre du trône, à quitter la France, et même la vie, pour le bien de la Patrie, inséparable des droits de son Fils, de ceux de la Régence de l'Impératrice, et du maintient des lois de l'Empire"

'Fait à Fontainebleau, le 4 avril 1814'

Merci à Sébastien


Le texte de l'abdication, écrit et signé par l'Empereur. Merci à Jean-Baptiste.





Les photographies du salon de l'abdication sont de Thinap.



En ce qui concerne, le guéridon sur lequel Napoléon a signé son acte d'abdication. Celui-ci se trouve toujours à Fontainebleau. La petite table peut se démonter pour laisser apparaître un compartiment secret dans lequel se trouve un plaque commémorative.



Il s'agit ici d'une lithographie en noir et blanc du célèbre tableau de Ferri Gaetano (1822-1896) intitulé "Napoléon Ier signant son abdiction au château de Fontainebleau le 4 avril 1814".
Une copie de ce tableau est visible au musée du château de Versailles.
Merci à Sébastien






Le 4 avril, Napoléon rédige un acte d'abdication réservant les droits de Napoléon II et de la régence de Marie-Louise.

Le 5 avril, il apprend le refus de Paris: l'abdication absolue est nécessaire.

Le 6 avril, il rédige la deuxième formule de l'acte d'abdication, renonçant pour lui et ses héritiers aux couronnes de France et d'Italie.


Les adieux


Adieu de Napoléon à la garde impériale par Antoine Alphonse Montfort, d’après Horace Vernet

Le discours à la vieille garde - L'histoire du Consulat et de l'Empire d'Adolphe Thiers, volume XVII, première abdication, p.834 - Paulin, Lheureux et cie, Libraires-éditeurs - 1860.


"Soldats, vous, mes vieux compagnons d'armes, que j'ai toujours trouvés sur le chemin de l'honneur, il faut enfin nous quitter. J'aurais pu rester plus longtemps au milieu de vous, mais il aurait fallu prolonger une lutte cruelle, ajouter peut-être la guerre civile à la guerre étrangère, et je n'ai pu me résoudre à déchirer plus longtemps le sein de la France. Jouissez du repos que vous avez si justement acquis, et soyez heureux. Quant à moi, ne me plaignez pas. Il me reste une mission, et c'est pour la remplir que je consens à vivre, c'est de raconter à la postérité les grandes choses que nous avons faites ensemble. Je voudrais vous serrer tous dans mes bras, mais laissez-moi embrasser ce drapeau qui vous représente."

Alors attirant à lui le général Petit, qui portait le drapeau de la vieille garde, et qui était le modèle accompli de l'héroïsme modeste, il pressa sur sa poitrine le drapeau et le général, au milieu des cris et des larmes des assistants (...)


Le même discours, d'après le baron Fain (qui a assisté aux adieux), dans "Manuscrit de 1814":


"Soldats de ma Vieille Garde, je vous fais mes adieux. Depuis vingt ans, je vous ai trouvés constamment sur le chemin de l'honneur et de la gloire. Dans ces derniers temps, comme dans ceux de notre prospérité, vous n'avez cessé d'être des modèles de bravoure et de fidélité. Avec des hommes tels que vous, notre cause n'était pas perdue ; mais la guerre était interminable : c'eût été la guerre civile, et la France n'en serait devenue que plus malheureuse. J'ai donc sacrifié tous nos intérêts à ceux de la patrie ; je pars : vous, mes amis, continuez de servir la France. Son bonheur était mon unique pensée ; il sera toujours l'objet de mes voeux ! Ne plaignez pas mon sort ; si j'ai consenti à me survivre, c'est pour servir encore à votre gloire. Je veux écrire les grandes choses que nous avons faites ensemble !... Adieu, mes enfants ! Je voudrais vous presser tous sur mon cour ; que j'embrasse au moins votre drapeau !."

Merci à Thinap


Dernière allocution de Napoléon à sa garde. Source


«Généraux, officiers, sous-officiers et soldats de ma vieille garde, je vous fais mes adieux: depuis vingt ans, je suis content de vous; je vous ai toujours trouvés sur le chemin de la gloire.
«Les puissances alliées ont armé toute l'Europe contre moi; une partie de l'armée a trahi ses devoirs, et la France elle-même a voulu d'autres destinées.
«Avec vous et les braves qui me sont restés fidèles, j'aurais pu entretenir la guerre civile pendant trois ans; mais la France eût été malheureuse, ce qui était contraire au but que je me suis proposé.
«Soyez fidèles au nouveau roi que la France s'est choisi; n'abandonnez pas notre chère patrie, trop long-temps malheureuse! Aimez-la toujours, aimez-la bien cette chère patrie.
«Ne plaignez pas mon sort; je serai toujours heureux, lorsque je saurai que vous l'êtes.
«J'aurais pu mourir; rien ne m'eût été plus facile; mais je suivrai sans cesse le chemin de l'honneur. J'ai encore à écrire ce que nous avons fait.
«Je ne puis vous embrasser tous; mais j'embrasserai votre général.... Venez, général.... (Il serre le général Petit dans ses bras.) Qu'on m'apporte l'aigle.... (Il la baise.) Chère aigle! que ces baisers retentissent dans le coeur de tous les braves!... Adieu, mes enfans!... Mes voeux vous accompagneront toujours; conservez mon souvenir....»



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