Les acteurs: Frédéric Staps.


Pierre




Il avait à peine 17 ans. Depuis sa naissance, l'Europe avait été presque constamment en guerre. Fils de pasteur, il avait sans doute reçu une éducation fortement marquée par la religion. C'est sans doute cela qui fit naître en lui l'idée que Dieu le destinait à jouer un rôle pour rétablir la paix en Europe comme Jeanne d'Arc l'avait fait lors de la guerre de Cent Ans. Mais comme il n'avait pas entendu de voix qui lui disait d'aller se présenter à un roi pour se mettre à la tête de ses armées, il conçut un plan plus modeste, mais néanmoins réalisable. Il allait aller trouver l'homme qui menait de manière victorieuse toutes ces guerres pour lui demander de faire la paix et s'il refusait, il lui planterait un couteau dans le cœur, ce qui mettrait peut-être un terme à ces guerres.

Mais il était jeune et sans doute encore assez nigaud. Son projet était mal préparé. Il se contenta d'acheter un couteau de boucher qu'il dissimula maladroitement dans la poche intérieure de sa veste, puis il se rendit à Schönbrunn où séjournait cet empereur qui pouvait mettre un terme aux guerres. Une fois sur place, il demanda à lui parler mais de manière si peu discrète qu'il attira sur lui l'attention des militaires chargés de la protection du souverain et ceux-ci découvrirent rapidement le couteau qu'il avait essayé de dissimuler.

Interrogé pour savoir pourquoi il se baladait ainsi avec un couteau, il avoua sans détour quelles étaient ses intentions.

Averti qu'un jeune homme s'était présenté au château avec un couteau dans l'intention de le tuer, Napoléon (car c'était lui cet empereur que ce jeune homme envisageait d'assassiner s'il ne voulait pas faire la paix) voulut lui parler. Persuadé que le jeune homme prendrait peur quand il apprendrait qu'il risquait la mort, Napoléon essaya de le convaincre de dire qu'il regrettait son acte en échange de sa liberté. Mais loin de se laisser fléchir par cette terrible menace et d'abandonner son projet, le jeune homme répondit que si on le relâchait, il s'empresserait d'essayer à nouveau de l'assassiner.

Deux jours plus tard, il était fusillé. Au moment d'être fusillé, le jeune homme entendit les cloches sonner pour célébrer la paix qui venait d'être signée. Il en conclut que sa mort ne serait pas inutile.

Suite à cette tentative manquée, Frédéric Staps est considéré par beaucoup comme un assassin. Pourtant, à la différence d'un grand nombre d'hommes de l'époque, il n'a jamais tué personne, sauf peut-être lui-même.

© Pierre.



André Castelot


L’histoire de Napoléon Bonaparte – André Castelot – vol 4 : Le grand Empire – p 227.




Le matin du 12 octobre, tandis que l’Empereur passe la revue habituelle de la garde, Rapp est surpris par l’attitude étrange d’un jeune Allemand à la figure de fille, qui est parvenu à s’avancer vers Napoléon. A plusieurs reprises on l’entend répéter qu’il désire parler à l’Empereur. Sa main droite demeure enfoncée dans la poche de sa redingote. « Il me regarda, racontera Rapp, avec des yeux qui me frappèrent. » Des yeux d’un joli bleu de faïence. L’inconnu est pâle et ses traits efféminés ne sont pourtant pas inquiétants. Rapp n’en fait pas moins signe à un officier de gendarmerie. On arrête le personnage, on le fouille et on découvre sur lui un énorme couteau de cuisine enveloppé de plusieurs feuilles de papier gris.

[Au cours de l’interrogatoire, il dira à Napoléon :] « Vous tuer n’est pas un crime, au contraire, c’est un devoir. »



Adolphe Thiers


Histoire du Consulat et de l’Empire – Adolphe Thiers - Tome 11 – p.293- 297



Napoléon assistait tranquille et souriant au défilé de ses troupes, lorsqu’un jeune homme revêtu d’une grande redingote, comme aurait pu l’être un ancien militaire, se présenta, disant qu’il voulait remettre une pétition à l’empereur des Français. On le repoussa. Il revint avec une obstination qui fut remarquée par le prince Berthier et l’aide de camp Rapp, et attira tellement leur attention qu’on le livra aux gendarmes d’élite chargés de la police des quartiers généraux.
Un officier de ces gendarmes ayant senti en saisissant ce jeune homme un corps dur sous sa redingote, le fouilla, et lui trouva un couteau fort long, fort tranchant, et destiné visiblement à un crime. Le jeune homme, avec le calme résolu d’un fanatique, déclara qu’en se plaçant ainsi armé sur les pas de l’empereur Napoléon avait en effet pour projet de le frapper. On en avertit Napoléon, qui, après la revue, voulut voir et interroger son assassin. Il le fit amener devant lui, et le questionna en présence de Corvisart, qu’il avait mandé à Schoenbrunn, parce qu’il aimait les entretiens de ce médecin célèbre, et qu’il désirait le consulter sur sa santé, quoiqu’elle fût généralement bonne.

Le jeune homme arrêté, dont la figure était douce et même assez belle, dont l’œil ardent décelait une âme exaltée, était fils d’un ministre protestant d’Erfurt, et se nommait Staaps. Il s’était enfui avec quelque argent de chez ses parents, leur laissant entrevoir qu’il nourrissait un grand dessein, et les désolant par sa fuite et ses projets, qu’ils redoutaient sans trop les connaître. Il allait, disait-il, délivrer l’Europe du conquérant qui la bouleversait, et surtout affranchir sa patrie. C’était une mission divine qu’il prétendait avoir reçue, et à laquelle il était résolu de sacrifier sa vie.
Il n’avait pas de complice, et son âme enivrée de cette folie criminelle, s’était isolée au lieu de se communiquer à d’autres. Napoléon l’ayant interrogé avec douceur ce qu’il était venu faire à Schönbrunn, il avoua qu’il était venu pour le frapper d’un coup mortel. Napoléon lui demandant pourquoi, il répondit que c’était pour affranchir le monde de son funeste génie, et particulièrement l’Allemagne qu’il foulait aux pieds.

-Mais cette fois au moins, reprit Napoléon, pour être juste, vous auriez dû diriger vos coups contre l’empereur d’Autriche et non contre moi, car c’est lui qui m’a déclaré la guerre.

Staaps prouva par ses réponses qu’il n’en savait pas tant, et que cédant au sentiment universel, il attribuait à l’empereur les Français seul la cause des malheurs de l’Europe. Napoléon considérant ce jeune homme avec une pitié bienveillante, le fit examiner par le médecin Corvisart, qui déclara qu’il n’était pas malade, car il avait le pouls calme, et tous les signes de la santé.
Napoléon demanda ensuite au jeune Staaps s’il renoncerait à son projet criminel, dans le cas où on lui ferait grâce.

- Oui, dit-il, si vous donnez la paix à mon pays, non, si vous ne la lui donnez pas.

Toutefois, l’assassin conduit en prison, parut étonné de la douceur, de la bienveillante hauteur de celui qu’il avait voulu frapper, et eut besoin de réveiller en son cœur son féroce patriotisme pour ne pas éprouver de regrets. Il se prépara à mourir en priant Dieu, et en écrivant à ses parents.

Napoléon se montra peu ému de cet incident, et affecta de dire qu’il était difficile d’assassiner un homme tel que lui.
[…]
Napoléon ordonna de ne faire aucun bruit de cette aventure, songea même un instant à gracier le coupable, puis réfléchissant qu’il fallait effrayer les jeunes fanatiques allemands, il livra Staaps à une commission militaire.



Dimitri Merejkovski


Le roman de Napoléon – Dimitri Merejkovski – p 211-212



Le 13 octobre 1809, sur la place du château de Schönbrunn, près de Vienne, on arrêta un jeune homme de dix-huit ans environ, presque un enfant, Friedrich Staps, fils d’un ministre protestant de Naumburg. Il avait voulu, comme il l’avoua aussitôt, assassiner Napoléon avec un couteau de cuisine.
[… ]
« Napoléon fut stupéfait », rapporte un témoin.
« Voilà les résultats de cet illuminisme qui infeste l’Allemagne… Mais il n’y a rien contre l’illuminisme ; on ne détruit pas une secte à coups de canons », dit-il à son entourage, lorsque Staps fut emmené. « Sachez comment il est mort. »

Staps mourut en héros. Arrivé sur le lieu de l’exécution, il s’écria : « Vive la liberté ! Vive l’Allemagne ! » et il tomba.

Napoléon fut longtemps sans pouvoir l’oublier. « Ce malheureux ne sort pas de ma tête. Quand je pense à lui, mes pensées se perdent… Cela me passe ! » (Rapp, p.147-153)
Non, cela ne le passe pas. Il sait – se souvient que ce garçon de dix-huit ans, « au visage blanc et aux traits efféminés », au visage de héros antique ou de martyr chrétien, ce chérubin vengeur de la liberté, est son double, à lui, Bonaparte, le jacobin de 93 qui disait : « Si mon propre père eût aspiré à la tyrannie, je l’eusse poignardé moi-même. »

Peut–être Napoléon, en interrogeant Staps, comprend-il, plus clairement encore que sur le champ de bataille de Wagram, qu’il fait la guerre non plus aux rois, mais aux peuples. Aussitôt après l’attentat, il fait hâter les négociations de paix avec l’Autriche.
« Je veux en finir ! » Mais il n’en finira jamais.


Dominique de Villepin


La chute ou l'Empire de la solitude - 1807-1814 - p.110



Le 12 octobre 1809, Napoléon passe une revue à Vienne lorsqu’un jeune homme s’approche de lui, menaçant. Rapp, qui l’arrête, découvre sur lui un couteau. Interrogé, ce fils de pasteur nommé Staps répond avec une froide résolution qu’il voulait tuer l’oppresseur de l’Allemagne. Champagny a laissé le récit de l’entretien entre Napoléon et le régicide.

« Pourquoi vouliez- vous m’assassiner ?

- Parce qu’il n’y aura jamais de paix pour l’Allemagne tant que vous serez au monde.

- Qui vous a inspiré ce projet ?

- L’amour de mon pays.

- Ne l’avez-vous concerté avec personne ?

- Je l’ai trouvé dans ma conscience.

- Ne saviez-vous pas à quels dangers vous vous exposiez ?

- Je le savais ; mais je serais heureux de mourir pour mon pays.

- Vous avez des principes religieux ; croyez-vous que Dieu autorise l’assassinat ?

- J’espère que Dieu me pardonnera en faveur de mes motifs.

- Est-ce que dans les écoles que vous avez suivies, on enseigne cette doctrine ?

- Un grand nombre de ceux qui les ont suivies avec moi sont animés de ces sentiments et disposés à dévouer leur vie au salut de la patrie.

- Que feriez-vous si je vous mettais en liberté ?

- Je vous tuerais. »

La franchise du ton, l’absence absolue de doutes et de remords impressionnent Napoléon : « Il fit retirer tout le monde, et je restai seul avec lui, poursuit le ministre.
Après quelques mots sur un fanatisme aussi aveugle et aussi réfléchi, il me dit ; « II faut faire la paix. »
Staps, avant de tomber sous les balles, pousse un dernier cri : « Vive la liberté. Vive l’Allemagne ! Mort au tyran ! »
Napoléon réalise-t-il qu’il assiste à la naissance d’une nation ? Il ne le semble pas.










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