Les acteurs: Duchesse d'Abrantès.


Laure JUNOT (1784-1838). Duchesse d'Abrantès.




Laure-Adélaïde Permon naît à Paris le 6 novembre 1784.
Elle est de nature vive, intelligente et spirituelle. Elle sait s'affirmer.
De nature passionnée et sensuelle, elle aura une vie amoureuse agitée.

Enfant, elle fut vivement impressionnée par les débordements révolutionnaires, notamment l'exécution de la princesse de Lamballe à laquelle elle assista bien involontairement.

Napoléon Bonaparte, élève à l'Ecole Militaire, avait pour correspondante, Madame Permon, mère de Laure, qui logeait alors place Conti à Paris. Elle était veuve d'un riche commis aux vivres de l'armée qui mourut en lui laissant de quoi vivre fort correctement.

Après le 13 vendémiaire, le jeune général Bonaparte fit la cour à cette Madame Permon et lui demanda sa main. Celle-ci refusa en raison de leur trop grande différence d'âge... C'est la future duchesse d'Abrantès, alors âgée de onze ans, qui raconta plus tard cet épisode dans ses mémoires.

La mère de Laure était une Comène, famille d'origine grecque ayant régné à Constantinople; ce qui permettra à Laure Permon de prétendre descendre des empereurs de Constantinople.

La mère et la fille étaient souvent invitées dans les salons du Faubourg Saint-Germain.
Le 21 juin 1800, le général Junot, âgé de vingt-neuf ans et gouverneur militaire de Paris, demande la main de Laure. Il est grand et beau dans son uniforme rutilant; et ses yeux bleus sont pleins de douceur.
Le mariage a lieu en octobre 1800. Laure n'a pas encore seize ans.
Le jeune couple fait désormais partie du proche entourage du Premier Consul. Celui-ci couvre les deux époux de bienfaits : dotations, bijoux, grades, hôtel particulier...

La France connaît avec le Consulat une période de prospérité et de paix.
C'est un temps où une jeunesse, pleine de gloire, se réunit à la Malmaison dans une atmosphère de fêtes. La belle et jeune madame Junot est de toutes ces fêtes.
Plus tard, elle prétendra que le Premier Consul a eu de l'attirance pour elle à cette époque...

Malgré sa bienveillance, l'Empereur est souvent indisposé par la conduite des deux époux. Ils mènent grande vie, dépensant sans compter d'une manière outrancière.
Napoléon nomme Junot ambassadeur à Lisbonne. Laure l'accompagne et encore une fois le couple vivra dans un luxe tapageur.
Madame Junot entretient une liaison avec Metternich.

A la création de la noblesse d'Empire, elle est duchesse d'Abrantès. Son mari et elle ont une vie amoureuse mouvementée...
En 1810, Junot est envoyé en Espagne avec son épouse.
En juillet 1812, alors que Junot est en Russie, elle cesse sa liaison avec M. de Forbin pour se jeter dans les bras du comte Maurice de Balincourt pour lequel elle éprouve une très vive passion.

Junot, rendu fou par plusieurs blessures, meurt le 29 juillet 1813.
Voilà Laure veuve à vingt-neuf ans avec quatre enfants à charge!
A la chute de l'Empire, elle vit avec le comte de Balincourt; mais celui-ci l'abandonne en 1824.
Elle quitte Paris et va vivre dans une petite maison à Versailles.
Elle a une liaison avec Balzac, mais elle n'est plus la beauté de jadis :

"Je vois encore (...) la duchesse d'Abrantès descendant, ou, pour mieux dire, dévalant de Montreuil à Versailles, dans un accoutrement pitoyable, les cheveux en désordre, quelques fois roulés dans des papillotes de couleur, coiffée de travers, avec un bonnet à la folle où à la Charlotte Corday, en tulle sale, fripé, dont les brides étaient tachées de graisse et de café, ou à demi brûlées par la cigarette à l'opium. Point de corset, un peignoir de laine ou de toile peinte auquel manquaient plusieurs boutons. (...) la duchesse n'avait sauvé du naufrage de ses élégances que la noblesse du maintien et la manière de porter un châle; à ces deux signes, on reconnaissait la vraie grande dame (...) (Lambinet)"

L'illustre écrivain et Laure correspondent. Balzac lui donne des conseils, l'encourage à publier ses Mémoires en l'aidant à les écrire.
Elle connaît un grand succès après leur publication.

Hélas sa situation financière s'aggrave, mais elle fait face : elle rit et continue à faire de l'esprit.
Théophile Gautier la surnomme la duchesse d'Abracadabrantès!
Elle demeure dans un très modeste logement de la rue Navarin à Paris, près de Notre-Dame-de-Lorette.
La vente, par ses créanciers, du peu de mobilier qui lui reste la met dans tous ses états.
Elle est victime de la jaunisse et meurt dans une maison de santé, rue de Chaillot, sur un grabat le 7 juin 1838.

Le conseil municipal de Paris lui refuse six pieds de terre dans le cimetière du Père Lachaise et le ministre de l'Intérieur a refusé d'accorder un morceau de marbre!
Indigné Victor Hugo écrira les vers suivants :

Puisqu'ils n'ont pas compris dans leur étroite sphère,
Qu'après tant de splendeur, de puissance et d'orgueil,
Il était grand et beau que la France dût faire
L'aumône d'une fosse à ton noble cercueil;

Puisqu'ils n'ont pas senti que celle qui sans crainte
Toujours loua la gloire et flétrit les bourreaux
A le droit de dormir sur la colline sainte,
A le droit de dormir à l'ombre des héros;

Puisque le souvenir de nos grandes batailles
Ne brûle pas en eux comme un sacré flambeau ;
Puisqu'ils n'ont pas de cœur; puisqu'ils n'ont point d'entrailles
Puisqu'ils t'ont refusé la pierre d'un tombeau;

C'est à nous de chanter un chant expiatoire !
C'est à nous de t'offrir notre deuil à genoux !
C'est à nous, c'est à nous de prendre ta mémoire
Et de l'ensevelir dans un vers triste et doux !

C'est à nous cette fois de garder, de défendre
La mort contre l'oubli, son pâle compagnon;
C'est à nous d'effeuiller des roses sur ta cendre;
C'est à nous de jeter des lauriers sur ton nom !

Puisqu'un stupide affront, pauvre femme endormie,
Monte jusqu'à ton front que César étoila,
C'est à moi, dont ta main pressa la main amie,
De te dire tout bas: Ne crains rien! Je suis là !

Car j'ai ma mission ! Car, armé d'une lyre,
Plein d'hymnes irrités ardents à s'épancher,
Je garde le trésor des gloires de l'empire;
Je n'ai jamais souffert qu'on osât y toucher!

Car ton cœur abondait en souvenirs fidèles !
Dans notre ciel sinistre et sur nos tristes jours,
Ton noble esprit planait avec de nobles ailes,
Comme un aigle souvent, comme un ange toujours !

Car, forte pour tes maux et bonne pour les nôtres,
Livrée à la tempête et femme en proie au sort,
Jamais tu n'imitas l'exemple de tant d'autres,
Et d'une lâcheté tu ne te fis un port !

Car toi, la muse illustre, et moi, l'obscur apôtre,
Nous avons dans ce monde eu le même mandat,
Et c'est un nœud profond qui nous joint l'un à l'autre,
Toi, veuve d'un héros, et moi, fils d'un soldat !

Aussi, sans me lasser, dans cette Babylone,
Des drapeaux insultés baisant chaque lambeau,
J'ai dit pour l'empereur: rendez-lui sa colonne !
Et je dirai pour toi: Donnez-lui son tombeau !



Elle repose au cimetière Montmartre.


© La Bédoyère.






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